par Manon Decombe-Deshayes | 18 octobre 2023 | 15 minutes de lecture

LE GESTE ARTISTIQUE,UNE FENÊTRE QUI S’OUVRE SUR L’ÂME


En naviguant entre les statuts de modèle et de créatrice, le regard de l’artiste Mireille R. Champagne est affûté pour questionner l’univers visible et invisible dans lequel elle vogue. Sa perception du corps, de l’âme et de l’environnement social se conjugue à des mondes cosmiques inspirants. Qu’en est-il de la perception du corps et de l’image que celui-ci renvoie dans une société de consommation de l’image et d’idéalisation de la notion de beauté? Comment capturer l’âme, l’intensité et interpréter l’humain dans une nouvelle sphère onirique?

Diplômée des Beaux-Arts à Concordia, Mireille débute sa carrière très jeune dans le mannequinat et explore rapidement l’univers des arts visuels en parallèle. Son activité balance entre ces deux univers. D’ailleurs, la photographie éditoriale va nettement marquer ses influences et ses codes esthétiques. Ces dernières années, elle a occupé un poste d’assistante de studio et a pu concentrer davantage sa carrière sur les arts visuels, découvrir d’autres facettes du milieu culturel et artistique et profiter de cette effervescence et de son entourage. Elle s’est impliquée dans des résidences d’artistes : Baie Saint-Paul, Portugal…

Le travail pictural de Mireille R. Champagne explore l’hyperréalisme, avec une technique assurée, elle questionne sur la réalité produite : qu’en est-elle? D’où vient-elle? Est-ce une copie, une photographie ou une nouvelle réalité? Sans suspense, les deux premières pistes ne sont pas à retenir, son hyperréalisme questionne le rapport au corps versus l’intellect.

Blogue Artbangbang - article Mireille Champagne
Blogue Artbangbang - article Mireille Champagne

« Le terme parallaxe se rapporte à un effet d’optique que l'on peut facilement expérimenter
dans la vie courante. Lorsque l'on mesure une longueur à l'aide d'un double décimètre, par exemple.
Si l'on ne place pas son œil dans un axe perpendiculaire, on risque une erreur de mesure.
De la même façon, si vous tenez un stylo à bout de bras et que vous le regardez, d'abord avec
votre œil gauche, puis avec votre œil droit, il vous semblera avoir changé de position par
rapport à un arrière-plan plus lointain et immobile. La parallaxe, c'est le terme qu'emploient
les scientifiques pour désigner cet effet du changement de la position d'un observateur sur l'objet qu'il observe.
Un effet résultant d'une observation sous deux angles différents. Et qui peut permettre d'évaluer une
distance hors de portée en ayant simplement accès à une longueur de base et à un angle. »

Source

La dualité (voire la pluralité) semble être une composante majeure de l’œuvre de Mireille, et la place des sciences est vitale dans sa conception et sa création. Elle a commencé depuis 2 ans sa série Parallaxe, composée de 15 à 20 œuvres, initialement prévue pour un solo qui a été reporté, la série est donc restée ouverte pour le moment. Cette série offre un changement de point vue et narre une vision personnelle de chaque modèle qu’elle intègre dans un univers créé.

Parallaxe

Si l’on décortique la méthode de création pour mieux se familiariser avec les créations de l’artiste Mireille R. Champagne, on peut aspirer à un axe de lecture plus fort et ensuite aller plus loin avec ses textes. Il est certain que l’on peut apprécier et contempler son œuvre, sans forcément passer par l’analyse et la prise de connaissance de la création, mais cela apporte une expérience différente et peut-être plus complète.
Tout commence par l’individu, l’être choisi et sa représentation picturale : son visage ou ses mains. Ce choix n’est pas anodin, l’âme et sa puissance qui en ressort va permettre de l’intégrer dans un univers créé à partir de photos de voyages et de souvenirs. Son cadre va tendre vers un univers organique, le ciel va généralement prendre une grande place dans la composition.
En prenant la personne dans son contexte et l’apposant au centre de sa création, elle va réaliser des sketchs sur Procreate avec du photocollage pour faire une grosse sélection de combinaisons qui lui plaisent. Ensuite, elle va réfléchir assez longuement à cette sélection, parfois pendant un mois et réduire les choix pour enfin sélectionner la combinaison finale.

Afin de titrer chaque oeuvre, elle va réaliser des recherches poussées. Cette dernière étape n’en est parfois pas une, puisque le nom de l’œuvre peut offrir une toute nouvelle dimension. Celle-ci va mener l’artiste à ajouter du contenu et à agrémenter la composition avec une touche picturale finale, comme l’ajout de la constellation d’Orion sur son œuvre Eon Hadéen.

Chaque œuvre est accompagnée d’un texte, qui conte la création terminée et offre un guide de lecture et d’interprétation. C’est intéressant de faire sa part de chemin dans la connaissance de l’artiste et de sa création, en tant que public, quand on connaît l’investissement et le niveau d’attente que l’artiste s’impose dans ses réalisations.

Inspiration et fascination

L’utilisation de modèles humains même en photo, pour créer une oeuvre, ouvre vers de nombreuses pistes de questions quant à la pratique, la réalisation technique et aussi à l’éthique. À travers son processus, l’artiste utilise des photos des personnes (ou d’elle) pour composer et va produire une version interprétée de la photo. Elle va donc ajouter sa propre touche, son propre regard, qu’elle va ensuite traduire dans son geste artistique. Ce n’est pas une copie de l’existant, ni même une idéalisation sociale, mais une production de sa vision de la personne choisie comme modèle, de son impact et de tout son ressenti. La traduction de l’image est faite par son prisme, en toute connaissance de cause, et son regard est teinté de bienveillance et de fascination pour le ou la modèle choisi.e.

L’intention donnée dans cette production va alors dévier la notion d’objectification du corps et de la personne qu’un portrait ou une photo peut avoir. L’image renvoyée par la personne n’est pas le seul but et la seule satisfaction produite, il y a une lecture de l’image, une interprétation et une transposition qui sont faites.

L’idée produite, une fois matérialisée sur la toile, est en quelque sorte immortalisée. Le dessein n’est pas de reproduire une image de l’être, mais bien de l’interpréter dans son monde.

La série Parallaxe pourrait être une cosmogonie à elle toute seule et décrire la formation du monde que l’artiste a imaginé. Chaque oeuvre est comme un objet céleste qui compose un univers à part entière quand elles sont comprises dans leur globalité.
Le questionnement et la démarche artistique qu’elle propose nous offre un souffle vers une meilleure compréhension de soi et de la place donnée dans cette immensité dans laquelle nous sommes plongés. Comme une pause de réflexion dans un espace bienveillant pour des âmes songeuses.


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Crédit photos : Mireille R. Champagne

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